Science et Humanités : le dopage sportif.

Interroger un Docteur en Science du Sport à propos de ses travaux de recherche sur le dopage en milieu sportif… Quel rapport avec l’Entreprise, le Réseau Social… Le management peut-être ? Et bien pourquoi pas.

 

Docteur en sociologie du sport, Professeur à L’université Paris-Descartes et membre du Laboratoire scientifique L.A.S.C.O, Christophe Brissonneau est le co-auteur du livre L’épreuve du Dopage (Puf, 2008).
Inspiré par la notion de déviance telle que la caractérise Howard Becker, Sportif de haut niveau voué à une carrière athlétique, il décide de se plonger dans la peau d’un sociologue pour interpréter académiquement ce qu’il vit alors : son statut de déviant dans un paysage sportif où la norme est clairement la prise conséquente de dope, en tout genre, pour suivre à la lettre le « plus haut, plus loin, plus fort » inscrit sous la flamme des chimères olympiennes. « Je voulais proposer un simple Santé à la place au Comité, mais je n’en n’ai pas eu l’occasion ».

Le titre de sa thèse, soutenue en 2003, est évocateur : « Entrepreneur de morale et carrière de déviant dans le dopage sportif : le cas de la médecine ». C’est à un gros morceau auquel il s’attaque alors. Société fondée sur un paradoxe morale, dangereuse et puissante, La société sportive s’est retrouvé en moins de 30 ans (des années 50 à la fin des années 70), les deux pieds dans une immense pharmacie.

Comment investir un terrain aussi abrupte et glissant, comment aborder un sportif sur un sujet aussi sensible, quand en plus on nage en plein théâtre Festina quelques mois après le début du travail de doctorant ?

Comment as-tu collecter tes informations, avec un sujet qui s’intéresse à des pratiques illégales, donc masquées ?

Au départ, j’ai pas mal travaillé avec des journalistes, à l’élaboration ou la co-écriture d’articles, pour différents médias. J’ai donc pu investir un réseau qui travaillait le sujet au corps, j’ai rencontré des personnes plus ou moins impliquées, participer à des enquêtes,…. Et puis un an après le début de ma thèse, c’est l’affaire Festina, en plein Tour de France, qui éclate.

Une aubaine ?

Mieux, un terrain fertile ! Mais ça n’a pas été facile du tout. Le statut de doctorant a favorisé le dialogue. Si j’avais gardé une posture journalistique ç’aurait été beaucoup trop difficile, voire impossible. J’ai dû la mettre de côté pour pouvoir continuer à travailler.

Un exemple ?

Tour de France 98. Je réalise des questionnaires pour une analyse quantitative, je m’intéresse au point de vue du spectateur, je veux comprendre comment eux vivent les affaires de dopage, leurs possibles désillusions… J’ai eu des difficultés énormes à réalisé mon enquête sur le modèle de la Grounded Theory. En fait, j’ai subi un rejet presque total des spectateurs qui ne comprenaient pas pourquoi je m’acharnais sur ces types qui n’étaient que des victimes, certains niaient le fait que tout cela était bien réel… Je ne me suis pas fait casser la figure, mais pas loin.

Un contre-exemple ?

Oui, la même année je me rends aux Championnats du monde junior d’athlétisme, les « futurs très grands » sont tous en lice au stade lyonnais. Un finaliste, je ne te dirais pas qui évidemment, accepte de me parler de ce que j’appelle la « normalité du dopage ».

« La normalité » ? Il l’a bien pris ?

Oh, mais il a été très clair. Le dopage n’est pas un problème, c’est bien une norme. le dopage, ou plutôt la prise de substances permettant de palier à certaines faiblesses psychiques et physiques ou d’en renforcer la résistance à l’effort est simplement un problème pour ceux qui refusent d’en prendre. Et pour le monde civil…
Après tout, ce que la plupart des sportifs voient, ce ne sont pas des drogues qu’ils ingurgitent comme pourraient le faire n’importe quel toxicomane, ce sont bien des médicaments qui viennent les soutenir dans leur carrière. Ce sont des médecins qui leurs donnent les consignes, les dosages.

Mais la santé ? 

Quand on parle aux athlètes des problèmes de santé, ça ne tient pas la route deux secondes. Le problème est ailleurs, sur un plan moral, pas sanitaire. Quelle dose va être légale ou pas, qui va en bénéficier si je ne la prends pas… Un athlète, ça s’abîme le corps de toute façon. Les produits dopants vont l’aider à dépasser les douleurs physiques pour continuer à performer. A partir de là…

L’image du sportif, de l’athlète s’en trouve totalement transformée. On est loin de l’utopie de « l’olympe citoyenne »…

Tu sais dans les années 40 et 50, il n’y a pas encore l’EPO mais par exemple cyanure et alcool sont des consommations fréquentes chez les sportifs.

Ce ne sont pas les médecins qui prescrivent du cyanure ? Si ?

La dose a respecter pour pas en crever évidemment. Mais il y avait même le fer ou encore l’aspirine, qui à forte dose peuvent tuer, utilisés pour tranquilliser la douleur.
Le sportif occupe son corps H24. Il est en perpétuel travail. Cela demande une résistance psychologique que tous n’ont pas. Avant que le dopage ne devienne un fléau, je parle des années 50, le sportif ne gagne pas énormément sa vie ; le milieu est difficile financièrement : la fin de carrière arrive vite, le corps fatigué, parfois avec des séquelles physiques  irréversibles. Si on vous propose, et ce sont des médecins qui vont le faire à partir de milieu 70, de prendre des produits qui vous permettent de mieux supporter cette occupation du corps… Tout le monde fait confiance à son médecin non ?

Donc les médecins du sport jouent un peu au chimiste avec leurs athlètes…

La médecine du sport est une discipline récente. Elle apparaît fin 60, 1967 je crois. Jusqu’alors on parle de médecine de l’éducation physique et sportive. Cela devient médecine du sport. Ce sont en majorité des anciens sportifs qui vont intégrer ces formations qui ne demandent pas le n années classiques pour l’obtention du diplôme. Il y a comme une sorte de fascination pour la recherche de produits qui permettent différents types de palliatifs, psychiques ou physiques… En plus d’être médecin ils ont été sportifs, ils savent exactement ce qu’il faut, pour quoi, qui,…

Et puis arrivent les années 80. En France c’est le début de la financiarisation du métier de sportif. L’état offre les premières bourses d’études. La privatisation télévisuelle qui arrive à peu près au même moment permet au marché de la rediffusion sportive d’entrer dans la course au profit autour de l’athlète. La publicité, … Une sorte de sécurité de l’emploi avec un principe de carrière, de reconversion se met en place…. C’est la bascule, et la consommation de produits dopants va exploser dans les milieux de l’athlétisme et du cyclisme.

Mais c’était déjà illégal non ?

Doses, types, enjeux… J’ai rencontré de jeunes sportifs qui étaient foncièrement opposés au dopage. Un discours très virulent. Ce qui ne les empêchaient pas de se faire des piqûres intramusculaires de produits légaux. Ces juniors savent qu’ils vont devoir entrer dans des phases d’entraînement de plus en plus rude. Un premier médecin, un deuxième, pour contrôler, un troisième qui va leur proposer une « béquille » en toute légalité….

Le principe c’était de trouver des combinaisons de produits, non-répertoriés donc légaux, à doses prescrites par un médecin, donc moral. A partir de là, les sportifs ils y vont en toute confiance. Ils sont complètement victimes et face à un enjeu qui est leur carrière, avec leur seul atout pour gagner qui est leur corps. C’est légitime…

La morale, comment as-tu aborder cette question lors de tes enquêtes ?

Et bien je l’ai très vite abandonnée ! L’objectif de mes travaux n’était pas de décrire un milieu avec des pratiques plus ou moins moral. C’était surtout de montrer comment le déviant, au sein d’un ensemble, d’une société professionnelle, est celui qui finalement n’accepte pas ce qui est considérée comme une norme.

La question de la morale a été une fausse question. Quand on voit les différentes lois inhérentes au problème du dopage dans les milieux sportifs, je veux dire comment elle a été traité par les gouvernements qui se sont succédé : en 1965 on parle d’éthique sportive, puis en 1989 on parle de la santé et du sport. En 1999, d’éthique de la performance…

On tourne en rond sémantiques pour cacher le problème, lequel ?

Et bien pour commencer, ce sont les médecins du sport qui mettent en place les règles de contrôle antidopage. On peut très vite comprendre que ce sont les experts de la recherche de substances dopantes efficientes qui ont également le pouvoir de décision sur ce qui est considéré comme légal ou pas. C’est une forme de pouvoir absolu, qui ne va en aucun cas enrayer un système qui permet une performance dont ils sont les bénéficiaires tout autant que les autres systèmes économiques très puissants que le sport fait exister. Rends-toi compte : pouvoir s’attribuer le seau de la pureté de la performance…

Et les sportifs ? Les victimes du système finalement…

Beaucoup ne regrettent pas. D’abord parce que le choix de ne pas en prendre c’est prendre le risque majeur d’une non-carrière. Et puis il y a ceux qui regrettent… de ne pas en avoir pris assez. Le dépassement de soi, la possibilité d’être le meilleur.
Le milieu du sport est très sectaire. Quand on démarre, on a 15, 16 ans, 20 ans… On ne se rend pas compte des enjeux physiques, et puis on fait confiance au staff, à l’équipe, au groupe. On vit dans une bulle déconnectée de la plupart des normes « classiques » de vie. Alors si on vous dit de prendre une pilule, ce qui va vous poser question c’est plus la couleur que ce qu’elle peut mettre, à plus long terme, en jeu.

 

C’est dit.

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